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L'envol des oies sauvages - 1


Quel joli titre, si poétique ! Les oies sauvages quittaient l'Irlande, pays plein de charme et maintenant si accueillant. Alors, pourquoi partir ? Toute cette poésie cachait une réalité cruelle que je ne soupçonnais pas.

Cela commença il y a bien longtemps, au XVIe siècle. Plusieurs Irlandais, déterminés à sauver leur vie et à garder au fond de leur cœur leur religion catholique, s'embarquaient clandestinement à bord de frêles esquifs, quittant la côte Ouest de l'Irlande. Parmi eux, deux jeunes garçons, plein d'audace et de courage, bravant vents et marées, abordaient au bout de quelques jours la côte bretonne à Saint-Briac, qui n'était à l'époque qu'un petit port de pêche. Ces deux jeunes gens étaient les frères BESREST, ne connaissant pas un mot de français - ils ne parlaient que le gaélique(1). Ils décidèrent pourtant de se séparer, l'un longeant la côte pour se fixer dans la région de Plurien, Fréhel, l'autre s'enfonçant dans les terres jusqu'à Yvignac ou Caulnes. Le premier, probablement attiré par la mer, voulait rester pêcheur ; le second, préférant travailler le fer, le bois ou la terre, gagna les petites communes de l'intérieur de la Haute-Bretagne.

Cette histoire m'a été racontée par Edouard BESREST d'Erquy, et confirmée par ses grands-parents et arrière-grands-parents. Elle se transmet oralement de génération en génération, et les BESREST de la côte n'ont aucun doute quant à sa véracité. Par contre, les BESREST de l'intérieur avaient complètement oublié leur origine irlandaise : aucun de mes parents, grand-père, oncle ou cousin, n'en avait jamais entendu parler jusqu'à ce jour.

 

L'Irlande

Lorsqu'on visite l'Irlande et qu'on y séjourne quelque temps, c'est ce que nous fîmes mon mari et moi pour essayer de retrouver les origines irlandaises des BESREST, ou du moins pour connaître ce pays si proche d'où étaient peut-être venus mes ancêtres, on se demande pourquoi on fuyait autrefois ce pays si pittoresque et si attachant.

chaumiere
La chaumière
On imagine facilement ce qu'étaient les anciennes maisons quand on admire ces vieilles chaumières blanchies à la chaux, avec toutes ces roses qui grimpent jusqu'au toit. Elles sont si basses, si simples, si touchantes, qu'on rêverait d'y vivre.

Pourquoi avoir quitté ces chemins étroits, bordés de rhododendrons ou de fuchsias en fleurs selon la saison, qui ne sont certes pas faits pour nos voitures modernes mais qui semblent conduire au château de la Belle au bois dormant ? Il n'est pas rare d'ailleurs en les suivant de découvrir les restes d'un château médiéval ou d'une vieille abbaye.

Les champs et les landes parcourus de curieux murs de pierres sèches (parfois, véritable dentelle de pierre) sont abandonnés aux moutons. Ce ne sont pas des troupeaux agglutinés comme chez nous sous la surveillance de bergers et de chiens, non, chaque mouton vit sa vie à sa guise, allant seul ici ou là, traversant les chemins et gravissant les rochers avec aisance... L'été, ils se promènent parmi la multitude des fleurs, en grappes, en épis, en clochettes : serpolets, géraniums sanguins, orchis roses, campanules bleues, gentianes, saxifrages ou chênettes... moutons
Moutons en Irlande

Sur les côtes rocheuses et découpées, du moins à l'Ouest où nous avons séjourné, les courlis, les huitriers, les goélands, les sternes et les mouettes rieuses nous rappellent la Bretagne. Nous roulons le long de roches fantastiques, de côtes déchiquetées...

Vous ne l'avez pas deviné, nous sommes dans la presqu'île BEARA, ou BERE, et nous approchons de Castletownbere(2). D'ailleurs, au large non loin de la côte, nous apercevons Bere Island (l'île BERE). Curieusement, et à plusieurs reprises, j'avais dit à mon mari : "Je me sens chez moi." Ce n'est que plus tard, rentrée à Saint-Brieuc et entretenant une correspondance fort intéressante avec les cercles généalogiques irlandais, que j'appris qu'il y avait peut-être un lien étroit entre cette superbe presqu'île BEARA ou BERE et l'origine de notre famille paternelle.

Prolongeant notre voyage, nous avons voulu connaître les pubs. Certains ont gardé la tradition ancienne, mais ils sont peu nombreux ceux où l'on peut encore retrouver l'ambiance exceptionnelle que l'on rencontrait partout autrefois : les chanteurs et les ménétriers jouant indifféremment de plusieurs instruments, le guitariste, le flûtiste, l'accordéoniste et le fiddler (violoneux), scandant de leurs gros souliers ces chants traditionnels. Quelques vieux conteurs amusent encore le public irlandais qui comprend le gaélique. Même si nous ne pouvions savourer ces contes, dits en langage inconnu de nous, nous étions gagnés par l'hilarité. La bière coulant à flots ajoutait encore à la gaieté. Nous sentions qu'il faisait bon vivre dans ce pays.

murs de pierre
Les murs de pierre

 

Les oies sauvages

Nous rencontrions sur notre chemin d'innombrables lacs souvent très étendus, qui sont le refuge des cygnes, canards ou oies sauvages. Nous voilà revenus aux oies sauvages... Lorsque les frères BESREST ont gagné nos côtes, l'envol commençait à peine et ce n'est que plus tard, lorsqu'il prit des proportions effrayantes(3), qu'on baptisa leur exode "l'envol des oies sauvages".

Pour comprendre ces départs massifs, il faut nous pencher un peu sur l'histoire de l'Irlande.

 

Les Celtes

Les Gaëls celtes ont envahi l'Europe au IVe siècles avant notre ère. Ils s'installent sur l'île et aussi en Armorique. Ils apportent entre autres leur langue (qui est à l'origine du gaélique parlé encore aujourd'hui en Irlande), leur art de la métallurgie, du fer, de l'or et du bronze.

Le territoire est alors divisé en nombreux petits royaumes, chacun sous l'autorité d'un "haut roi", qui se fédèrent en cinq grandes unités : Ulster, Connacht, Leinster du Nord (ou Meath), Leinster du Sud, et Munster.

 

Les Chrétiens

Au Ve siècle après notre ère, de 432 à 461, saint Patrick répand la religion chrétienne qui remporte un grand succès. Il introduit l'emblème du trèfle vert à trois feuilles en Irlande, symbolisant la Sainte-Trinité. Les VIe et VIIe siècles voient le développement de la foi chrétienne coïncider avec un grand épanouissement culturel, et de très nombreux monastères et églises vont être construits. Les missionnaires irlandais s'en vont évangéliser les populations étrangères, bâtissant des abbayes sur le continent. À cette époque, l'Irlande connaît un prestige intellectuel unique en Europe.

J'ai retrouvé en Bretagne la trace de plusieurs saints irlandais qui ont donné leur nom à quelques unes de nos communes : Briac ou Briag, Brendan, Cast, Efflamm, Maudez. Il y a aussi Budog, Elouan, Ronan, Quay, etc. "La liste est interminable et il n'y a certainement pas assez de jours dans le calendrier pour y inscrire leurs noms et leurs fêtes carillonnées"(4).

lac irlandais
Un des nombreux lacs irlandais

 

Les Vikings

Cette période florissante va brusquement être interrompue à partir de 795, par les invasions des Vikings ou Normands venus de Scandinavie, qui envahissent et pillent l'île, comme ils le font partout où ils débarquent. Ce ne furent que guerres et affrontements entre ces redoutables Normands et les Gaéliques pendant plus d'un siècle. Peu à peu, les seigneurs normands se gaélisent peu ou prou, et s'intègrent à la population, ce qui explique les nombreux BARRETT, BARATTS, noms d'origine normande, qui s'alignent par dizaines sur les annuaires téléphoniques actuels. La lettre "a" se prononçant comme un "è" très ouvert, chaque fois que je demandais à un Irlandais de prononcer le nom BARRETT, j'entendais BERRETT !

Serait-ce possible que nous descendions de ces terribles Vikings ? Pourquoi pas ? Mais ce n'est que l'une des deux hypothèses que j'ai découvertes, la seconde est beaucoup plus poétique. Je vous demande cependant de considérer que les Vikings, tout pillards qu'ils étaient, avaient développé un art magnifique. Il m'a été donné d'admirer à Oslo, lors d'un voyage en Norvège, les vestiges de leurs grands drakkars conservés dans le musée. Ces navires à voile carrée et à rames étaient entièrement faits de bois finement sculpté.

drakkar
Drakkar (d'après une carte postale du Musée d'Oslo)

Leur proue, très haute, impressionnante et recourbée était parfois couronnée par une tête de dragon. Lorsqu'on les apercevait à l'horizon, sur la mer, c'était la terreur parmi les populations.

 

Les Anglais

La division politique dans l'île favorise l'incursion des Anglo-Normands à la fin du XIIe siècle, et en 1175, Henri II d'Angleterre impose sa souveraineté à l'Irlande.

En 1541, Henri VIII d'Angleterre, se proclame roi d'Irlande, et impose la religion réformée. Les tentatives gaéliques, ou même normandes, pour sauvegarder leur indépendance et leur religion catholique furent écrasées. C'est probablement dans ce XVIe siècle tourmenté que les frères BESREST émigrèrent. Je crois qu'ils choisirent bien leur moment, car le chef gaélique O'NEILL, mal soutenu par les Espagnols venus en renfort, dut se soumettre puis s'exila. Un grand nombre d'Irlandais quittèrent comme lui le pays.

À partir de ce moment, la politique anticatholique se durcit dans les périodes suivantes et l'Irlande gaélique pressurée ne survivait qu'au fond des campagnes. Les paysans exploités, misérables, souvent chassés de leurs terres (données aux Anglais) étaient presque les seuls à conserver leurs traditions. L'île était anglicanisée ! De 1649 à 1651, se pratiqua la politique de la terre brûlée. C'est à cette époque que les monastères irlandais qui avaient déjà tant souffert sous la réforme furent pratiquement tous démantelés et laissés à l'état de ruines, que l'on voit encore de nos jours. Des milliers d'enfants, de femmes, de jeunes gens furent déportés en Jamaïque et à la Barbade pour être vendus sur les places, à l'encan ! 30 000 soldats "oies sauvages" vont mettre leur épée au service de la France et de l'Espagne.

 

Yvonne Henry, née Besret

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(1) gaélique : langue d'origine celte. À l'époque, les frères Besrest ne savaient vraisemblablement pas qu'ils débarquaient dans un pays ayant aussi des origines celtes.

(2) Castletownbere : la ville du château Bere.

(3) Les Irlandais fuyant leur pays où ils étaient martyrisés gagnaient en foule la France, mais aussi l'Espagne, l'Amérique et le Canada.

(4) Creston René-Yves, Avant-propos à La Navigation de saint Brendan.

Page créée le 25 janvier 2003.
Mise à jour le 21 mai 2003.

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